Lorsque Elie Schehadé, libanais chrétien, épousa Elise Chikhani, grecque catholique, se doutait-il que son premier fils, Georges, né le 2 novembre 1905 à Alexandrie, deviendrait l’un des auteurs dramatiques les plus poétiques de sa génération.
Georges Schehadé en 1906 entre sa grand-mère, sa mère et sa sœur
( Archives Georges Schehadé / IMEC )
Quatorze ans auparavant, Elie avait quitté le Liban pour l’Égypte où l’attendait une situation florissante. Entouré de ses sept enfants, le ménage était très heureux. Elie, homme de grande culture, parlait six langues, le français étant sa préférée. Fervent admirateur de Corneille, Victor Hugo, Musset, lui même composait des pièces en vers et des contes pour la plus grande joie de sa progéniture. Imitant son père, Georges, dès l’âge de dix ans s’essayait à la poésie et écrivait des petites comédies qu’interprétaient ses frères et sœurs devant leurs parents au comble de l’enthousiasme.
Une adolescence pleine de poésie à Beyrouth
À la fin de la Grande Guerre, le Liban, délivré de l’emprise de l’empire ottoman, devint indépendant sous mandat français. Malheureusement, la situation des Schehadé en Égypte périclita. Après une grave dépression, Elie commença à perdre la vue. Aidé financièrement par ses frères, il se réinstalla avec sa famille à Beyrouth.
À quatorze ans, Georges fut inscrit au collège du Sacré-Cœur où l’enseignement était donné en langue française. Inspiré par Lamartine, puis par Verlaine et Mallarmé, l’adolescent continua à écrire des poèmes. Lors de sa dernière année d’étude, il fit partie d’un petit cercle littéraire à l’intérieur du collège. On y récitait des vers, on organisait des lectures, on mettait en scène de courtes pièces comme Le Père Eusèbe, signée Georges Schehadé. Le collège publiait, en outre, une revue l’Essor, à l’intention des élèves et des anciens élèves, Georges eut l’honneur d’y voir imprimer, pour la première fois, une de ses oœvres.
Collège du Sacré-Cœur de Beyrouth
Georges Shehadé au dernier rang à l'extrême gauche
( Archives Georges Schehadé / IMEC )
En 1923, Georges, en fin d‘études commerciales, entra à l’Université de Droit Saint-Joseph, rattachée à la faculté de Lyon. Au bout de trois ans, il obtint sa licence. Depuis quelques mois, il travaillait déjà en temps que stagiaire dans un cabinet d’avocat.
Il pensait toujours « poésie » et avait confié, en cette année 1928, quelques unes de ses œuvres à l’un de ses amis qui partait pour Paris. Ce dernier trouverait peut-être un éditeur de bonne composition...
À Beyrouth, la chance de Georges Schehadé se nommait Gabriel Bounoure. Chroniqueur à la revue N.R.F, ce dernier avait été nommé inspecteur de l’enseignement secondaire au Liban et chargé de diverses missions officielles.
En 1928 , le haut fonctionnaire fit connaissance du jeune Schehadé et décela très vite en lui un véritable talent et « Ce jeune poète, écrivit-il à Jean Paulhan, possède les dons les plus rares, il sait à peine encore s’en servir, mais nous éblouit par une légèreté , une agilité, une grâce, que pour moi, je goûte très vivement . » À son tour Paulhan s’intéressa aux œuvres du jeune Schehadé et c’est ainsi qu’au sommaire de la revue Commerce l'hiver 1930, on put lire le nom de G. Schehadé accompagnant ceux de M. Jouhandeau, L-P. Fargue, de Franz Kafka et G. Ribemont-Desaignes.
À l’occasion des fiançailles de sa sœur préférée Laurice, avec Georgio Benzoni, consul d’Italie à Damas, Georges effectua son premier voyage en Europe. Après avoir visité Rome, il se rendit à Paris où il eut l’occasion de rencontrer Jean Paulhan, Saint-John Perse, Jules Supervielle et Max Jacob et leur fit la meilleure impression : ils venaient tous de découvrir un vrai poète.
À son retour à Beyrouth, G. Schehadé fut nommé rédacteur de première classe au Haut Commissariat et assistant de Gabriel Bounoure. Néanmoins, ses nouvelles fonctions ne nuisirent en aucune façon à ses travaux d’écriture. Grâce à ses relations parisiennes, son premier recueil : Poesie I fut tiré à 54 exemplaires par les éditions G.L.M. et vendu par souscription.
Recevoir une lettre de félicitations signée Paul Eluard : « Je lis et je relis chaque jour vos poésies. Je vous en remercie… Votre livre me fait du bien que vous ne pouvez évaluer. Veuillez être assuré de toute mon admiration, de toute mon affection », quoi de plus valorisant !
Au printemps 1938, Madame Huntzinger, l’épouse du Général en chef des troupes du Levant, proposa à Georges d’écrire un impromptu à l’occasion du Bal annuel des Officiers. Ce projet enchanta le jeune écrivain qui se mit tout de suite à la tâche. C’est ainsi que naquit en quelques jours Chagrin d’Amour, pièce en un acte qui fut interprétée par cinq militaires, un jeune conseiller au Haut Commissariat et Habib, le jeune frère de Georges. La pièce fut vivement applaudie : « Tous les chagrins d’amour comme les rêves se ressemblent.Mais il y a façon de les accueillir et d’en faire part aux autres. Celle de Schehadé est toute spéciale ; un peu gauche encore mais si originale, si jolie. Il y a là un beau talent qui veut s’épanouir comme les fleurs » « J’ai aimé Chagrin d’amour. C’est un paysage frais, léger que frôle de ses ailes délicates une sensibilité toute spirituelle ; c’est un parfum insaisissable : c’est une fantaisie de poète. C’est une jolie chose ».
Rideau de scène dessiné par Georges Cyr pour Chagrin d'amour
Journal Le Jour - 3 juillet 1938
Coll. part.
C’en était fait Georges était devenu un auteur dramatique
Jean Paulhan, écrivain, rédacteur en chef de la N.R.F
Lettre du 28 février 1930 (cf Georges Shéhadé, poète des deux rives Danielle Baglione et Albert Dichy éditions de l’IMEC)
Lettre du 30 mars 1938 (cf Georges Shéhadé, poète des deux rives Danielle Baglione et Albert Dichy éditions de l’IMEC)
Marcel Chiha Le Jour édition régionale 3 juillet 1938
Joseph Oughourlian : Phenicia ( revue libanaise ) juillet 1938