Il fut une période de ma vie, il y a une vingtaine d'années,
où je tombai dans la déprime. Quelqu'un me conseilla de consulter un psychanalyste mais je m'en gardai bien parce que je connaissais exactement (ou croyais connaître) les raisons de mon état, toutes reliées au fait que j'enviais, et de plus en plus, les fortunes de tant d'amis de plume qui - ayant abandonné le modeste jardinet théâtral - s'étaient donnés corps et âme à la télévision. En faisant beaucoup d'argent et en trouvant un auditoire de millions de personnes. Bref, j'étais taraudé par le ver de l'audimat, alors que ce terme offensif n'existait pas encore, qui me faisait me ressentir comme un exclu des festins des temps nouveaux. Exclu par on ne sait quelle conjuration d'autrui. C'est ainsi que je me mis à haïr mon obscur travail d'écriture et à rêver par compensation à une existence sur l'autre versant : celui du dynamisme, de l'aventure, du corps en majesté. Et je découvris que je préférais l'excité Hemingway - et même le D'Annunzio des grands faits - aux toujours vénérés Verga et Dostoïevski. J'achetai un petit voilier - comme Ugo - le héros de ma pièce - et pris la mer en rêvant de typhons tropicaux et des Iles Sous-Le-Vent. Mais je ne dépassai pas Torvaianica ou Ponza : par incompétence maritime, par lâcheté, ou plus simplement, parce que je n'avais rien à démontrer ni à moi-même, ni à mon prochain. Ainsi sans le secours de Freud, j'eus un jour la révélation de la situation ridicule dans laquelle je m'étais engagé et j'en fus brusquement guéri : dans ce sens que toutes les vanités des mass-media m'apparurent pour ce qu'elles sont. Je vendis mon bateau et retournai, rasséréné, à ce vice de quelques extravagants conjurés qu'est le théâtre. Maintenant, je ne sais pas si la pièce que j'ai tirée de mon vertige désormais lointain sera bonne ou mauvaise mais je sais qu'elle m'a aidé à prendre mes distances vis à vis des paillettes. Ghigo de Chiara |