Une morale amère Au début, le lecteur sinquiète, doù sortent ces personnages qui parlent comme dans le plus violent des films de Tarentino ? Puis le théôtrophile se souvient de Fric-Frac d Édouard Bourdet,dAlexandre Breffort dans Irma la Douce, de Jean Genet dans Querelle de Brest, de Raymond Queneau dans Zazie dans le métro ou dans Exercices de style. Il se rappelle, la môme Cascade de Céline (Le Pont de Londres), Jésus la Caille de Carco, Vieusblé dans Les Croix de bois de Dorgelès, Lamuse et Cocon dans Journal dune escouade dHenri Barbusse. Mais ceux qui bonîssaient dans ces affures, cétaient des prolos, des gueux (1), des voyous, pas des gens en place. On jactait comme ça dans les bouges, les bas-fonds, les maisons closes, pas sur les plateaux de cinéma, pas dans les studios de télé, les salons ou les salles de rédaction. Et surtout pas dans LAvant-Scène! Quoique... Rappelez-vous lavertissement au lecteur que votre revue avait publié avec Comment va le monde Mâssieur? fi tourne Môssieur de François Bulletdour, en 1964. « Etant donné le style de la pièce, il nous a semblé impossible, sous peine de la dénaturer de dissimuler la crudité des mots et des expressions par dhypocrites artifices de typographie. Que le lecteur ne soffusque pas, etc. »(2) « Amis lecteurs », vous aurait dit aussi Alcofribas, « Ne vous scandalisez », Car ceux qui soffensent sî facilement des mots se fâchent-ils des « choses signifiées ? », « Nous prononçons hardiment tuer, desrober, trahir »(3), mais nous acceptons qu'on nous montre des carnages sur petit et sur grand écran. Y a-t-il plus dassassinats, de meurtres prémédités, dans Shakespeare, dans Ben Elton, ou dans la rubrique des faits divers? Depuis que « le ventre de Paris » est devenu le Forum des Halles avec ses boutiques de luxe, que lOpéra crèche ô la Bastoche, et quà la Villette ont fleuri la Cité des Sciences, la Cité de la Musique, deux ou trois théâtres intellos et des salles dexposition que voulez-vous que largot fît ? Il a investi ceux qui fréquentent ces lieux, et cette « langue entée sur la langue générale comme une espèce dexcroissance » (comme disait le père Hugo), a cultivé « une croissance désordonnée mais vigoureuse, et croître, cest senrichir »(4) Cependant, si largot nest plus la langue des truands, ceux qui sen délectent ne sont-ils pas devenus eux-mêmes des souteneurs, et sont-ils aussi innocents qu'ils le prétendent ? « Il nest, dit Gargantua, poinct besoin torcher le cul, sinon quil y ait ordure. Ordure ny peut estre, si on na chié: chier donc nous foult davant que le cul torcher »(5). Les personnages de Popcorn vivent de la violence, senrichissent de la violence, et nient toute responsabilité dans cette exploitation. Ce sont des manipulateurs obscènes, et pas un ne mérite la pitié ou la compassion quAristote demandait pour les héros tragiques. Des « cloportes » comme aurait dit Alphonse Boudard métamorphosés en génies pour les gogos. Ils massacrent en séries, et plaisantent pour complaire. Ils érigent le crime et le vice en exemples. Mais que larme se retourne contre eux, quils deviennent la cible des psychopathes quils ont fabriqués, ils sindignent! Comme vont sindigner certains spectateurs et certains critiques qui se seront empressés daller applaudir Pulp Fiction, Tueurs nés ou Bad Lieutenant. Le rire ne rend pas toujours lhomme propre, mais « lhumoriste est un moraliste amer, un pessimiste qui supporte la désolation avec gaieté » disait lonesco, et ce W est pas lauteur de Popcom, ni ses adaptateurs qui le démentiront. Danielle Dumas (extrait de "l'avant-scène théâtre" no1022 15 Janvier 1998) I. Gergo Trutanorum langage des
truands, appelé ainsi dès le XIVe siècle, ainsi que le rappelle
Furetière dans son Dictionnaire universel et Jacques Cellard dans son Anthologie
de la littérature argotique. |