Un auteur français en piste: c'est à saluer. Pour sa deuxième pièce, l'audacieux Xavier Daugreilh a conçu une intrigue cocasse, saugrenue, nostalgique. Une comédie de moeurs à la fois attendrissante et mordante, comme un film de Claude Sautet.
Trente ans après, les mêmes gens se retrouvent. Plus ceux qui sont nés. Moins ceux qui sont morts - Jean et Christine avant tout Lui, c'est Bernard Verley, un ronchon, un ours mal léché, pas plus teigneux au fond qu'une peluche. Elle l'a jadis lâché. Elle (Annick Blancheteau) a levé le pied avec le médecin qui lui soignait une entorse : une partie de jambe en
l'air qui l'a contrainte à abandonner par divorce leur fils Marc (Marc Fayet), qu'il voulait bien continuer a nounoursser.
Ils se retrouvent contraints et forcés, à Roissy, à l'occasion du départ du rejeton, qui vient d'être nommé à Hong Kong pour deux ans. Elle serait plutôt contente de voir son ex d'autant que le toubib des amours défuntes a cassé sa pipe. Devant cela, il trouve le moyen de bougonner. A tout hasard. Et surtout hors de propos : sa femme actuelle est en train de le
quitter à son tour pour son prof de yoga.
Mais il se ferait hacher menu plutôt que de l'admettre. C'est comme une maladie : il faut qu'il grogne. Un froncement de sourcils, un geste esquissé, a peine un pli sur la paupière, une ébauche de tendresse pataude : Verley est époustouflant dans ce rôle. Lui qui, jeune premier, haïssait les postures d'Aiglon où le confinaient ses premiers sucres, il est devenu
après une longue retraite l'un des poids lourds du théâtre français.
Aux côtés d'Annick Blancheteau et de Marc Fayet, Attica Guedj et Stephan Meldegg incarnent avec talent les amis du couple désuni, les femmes d'un côté, les mecs de l'autre. Juliette, veuve plutôt joyeuse, Paul, un antiquaire plutôt meIancolique (mais Juliette va se charger de mettre du piment dans sa vie). Les quatre sont au diapason.
Stephan Meldegg a conçu car mise en scène aérienne, où, comme dans un quintette à cordes bien uni, chacun joue avec délicatesse so partition, entre pincement de coeur et rires frémis. De jolies toiles un brin naïves dues à Haby Bonomo se déroulent sous nos yeux, qui suffisent à nous suggérer que la scène, depuis l'aéroport, s'est déplacée dans un bistro, puis à
Hong Kong ou bien sur la terrasse de Paul dans le Luberon, devant un barbecue, donnant à l'espace une mobilité funambulesque.
Jean, muré dans son égoïsme, est passé a côte de tout. De son existence enfouie, à l'heure de la retraite, rien ne demeure de palpable sinon, cela saute aux yeux, sa connivence avec Christine, qui lui a conservé elle aussi toute sa tendresse, assaisonnée de remords. Il devrait s'y cramponner. On rage d'envie qu'il craque, qu'il passe aux aveux, qu'il esquisse le
moindre geste... Quand il n'y a plus rien, reste l'espoir. Et ce petit miracle: une respiration. Assortie de silences qui en disent long.
B. Th.
|