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Donnez-moi un bel accident!

La critique de Frédéric Ferney

Ca commence comme un dialogue de Beckett, avec vieux bonhomme qui cuve en solo sa hargne et son ressentiment contre le monde et les hommes. Ça finit radieusement, comme un conte de Noël. Du noir et du rose.Jeff Baron utilise avec bonheur l'une des plus anciennes recettes du comique : marier malgré eux deux êtres aussi dissemblables que possible, former un couple dans lequel l'un devient l'otage de l'autre. Forcément, ça grince.

Mister Green (Philippe Clay) vit en reclus; Il est veuf : Il adorait sa femme. Ross Gardiner (Thomas Joussier) est un jeune cadre plein d'avenir. Sauf accident. ils n'auraient jamais dû se rencontrer. L'accident, c'est cela qui importe au théâtre, plus que l'histoire: rien n'advient, rien ne peut s'accomplir sous accident. Si tous deux sont juifs (quoiqu'ils vivent différemment cela), ce qui les rapproche, c'est ce qui devrait les séparer: leurs préjugés, leurs blessures secrètes, leur solitude. Mister Green a répudié sa fille; Ross est homosexuel. Ils vont devoir l'un et l'autre, l'un grâce à l'autre, renoncer à une certaine idée de soi et surmonter leurs idées fixes.

Le résultat ? De savoureuses querelles sur la distinction rituelle (dans le judaïsme orthodoxe) entre la vaisselle réservée aux laitages et celle qui accueille la viande: « Milchik, c'est les laitages. Flayshick, c'est la viande, hein! » Un joli duo d'acteurs où Philippe Clay se taille la part du lion, heureux comme un pape dans ses pantoufles de vieux grigou. grisé de songes, fourbu et misanthrope. Un profil de Quichotte, qui réveille quelques souvenirs. Valentin le Désossé dans « French Cancan » de Renoir, le Roi des Voleurs dans « NotreDame-de Paris » de Jean Delannoy, c'était lui. Il a connu Prévert et Vian. B a chanté Jean-René Caussimon. Vian, Nougaro, Gainsbourg. Visiblement, cela ne lui déplaît pas de jouer une pièce sur l'amour et la tolérance, ce vieil anar. Il en rajoute un peu dans le quinteux, dans le cacochyme, ce vieux Scapin. Vieux, vraiment ? Bah. cinquante ans de carrière, une paille !

Auprès de lui, Thomas Joussier. qui a longtemps porté ce projet, adaptant lui-même la pièce de Jeff Baron avec Stéphanie Galland, n'est pas mal. Pas facile de jouer Ross devant un vieux singe qui se barbouille le visage de grimaces infimes : un doigt qui tremble, un oeil qui luit, une paupière qui s'affaisse et, aussitôt, le public s'esclaffe. Philippe Clay se comporte comme un clown blanc; il semble toujours dire à Thomas Joussier: « A toi de jouer ! Montre-moi ce que lu sais faire ! » Ross propose; Mister Green dispose. Nous, on passe une joyeuse soirée, à moins de n'avoir aucune envie de se réconcilier avec le genre humain. Allez, c'est bientôt Noël!

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